Septembre une invention de l'année 2013 (extrait)

Quatrième invention pour le centième anniversaire de la mort de Charles Péguy

qui tombera

le 5 septembre 2014

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Ses trois enfants qui grandissent tellement.
Pourvu qu'ils ne soient pas malades.
Et qui seront certainement plus grands que lui.
(Comme il en est fier dans son cœur).
Et ses deux gars seront rudement forts.
Ses deux gars le remplaceront, ses enfants tiendront sa place sur la terre.
Quand il n'y sera plus.
Sa place dans la paroisse et sa place dans la forêt.
Sa place dans l'église et sa place dans la maison.
Sa place dans le bourg et sa place dans la vigne.
Et sur la plaine et sur le coteau et dans la vallée.
Sa place dans la chrétienté. Enfin. Quoi.
Sa place d'homme et de chrétien.
Sa place de paroissien, sa place de laboureur.
Sa place de paysan.
Sa place de père.
Sa place de Lorrain et de Français.
Car c'est des places, grand Dieu, qu'il faut qui soient tenues.
Et il faut que tout cela continue.
Quand il n'y sera plus comme à présent.
Sinon mieux.
Il faut que la paysannerie continue.
Et la vigne et le blé et la moisson et la vendange.
Et le labour de la terre.

Et le pâtour des bêtes.
Quand il n'y sera plus comme à présent.
Sinon mieux.
Il faut que la chrétienté continue.
L'Église militante.
Et pour cela il faut qu'il y ait des chrétiens.
Toujours.
Il faut que la paroisse continue.
Il faut que France et que Lorraine continue.
Longtemps après qu'il ne sera plus.
Aussi bien comme à présent.
Sinon mieux.
Il pense avec tendresse à ce temps où il ne sera plus
et où ses enfants tiendront sa place.
Sur terre.
Devant Dieu.
À ce temps où il ne sera plus et où ses enfants
seront.
Et quand on dira son nom dans le bourg, quand on
parlera de lui, quand son nom sortira, au hasard
des propos, ce ne sera plus de lui que l'on parlera
mais de ses fils.
Ensemble ce sera de lui et ce ne sera pas de lui,
puisque ce sera de ses fils.
Ce sera son nom et ce ne sera plus et ce ne sera pas son nom, puisque ce sera (devenu) le nom de ses fils.
Et il en est fier dans son cœur et comme il y pense avec tendresse.
Que lui-même ne sera plus lui-même mais ses fils.
Et que son nom ne sera plus son nom mais le nom de
ses fils.
Que son nom ne sera plus à son service mais au service de ses fils.
Qui porteront le nom honnêtement devant Dieu.
Hautement et fièrement.
Comme lui.
Mieux que lui.
Et quand on dira son nom, c'est son fils qu'on appellera, c'est de son fils qu'on parlera.
Lui il sera depuis longtemps au cimetière.
Entour de l'église.
Lui, c'est-à-dire son corps.
Côte à côte avec ses pères et les pères de ses pères.
Aligné avec eux.
Avec son père et son grand père qu'il a connus.
Et avec tous les autres tous ceux qu'il n'a pas
connus.
Tous les hommes et toutes les femmes de sa race.
Tous les anciens hommes et toutes les anciennes femmes.
Ses ancêtres et ses aïeux.
Et ses aïeules.
Tant qu'il y en a eu depuis que la paroisse a été fondée.
Par quelque saint fondateur.
Venu de Jésus.
Son corps, car pour son âme il y a longtemps.
Qu'il l'a recommandée à Dieu.

La mettant sous la protection de ses saints patrons.

Il dormira, son corps ainsi reposera.
Parmi les siens, (attendant les siens).
Attendant la résurrection des corps.
Jusqu'à la résurrection des corps son corps ainsi reposera.

Il pense avec tendresse à ce temps où on n'aura pas besoin de lui.
Et où ça ira tout de même.
Parce qu'il y en aura d'autres.
Qui porteront la même charge.
Et qui peut-être, et qui sans doute la porteront mieux.

Il pense avec tendresse à ce temps où il ne sera plus.
Parce que n'est-ce pas on ne peut pas être toujours.
On ne peut pas être et avoir été.
Et où tout marchera tout de même.
Où tout n'en marchera pas plus mal.
Au contraire.
Où tout n'en marchera que mieux.
Au contraire.
Parce que ses enfants seront là, pour un coup.

Ses enfants feront mieux que lui, bien sûr.
Et le monde marchera mieux.
Plus tard.
Il n'en est pas jaloux.
Au contraire.
Ni d'être venu au monde, lui, dans un temps ingrat.
Et d'avoir préparé sans doute à ses fils peut-être un temps moins ingrat.
Quel insensé serait jaloux de ses fils et des fils de ses fils.

Est-ce qu'il ne travaille pas uniquement pour ses enfants.

Il pense avec tendresse au temps où on ne pensera plus guère à lui qu'à cause de ses enfants.
(Si seulement on y pense quelquefois. Rarement.)
Quand son nom retentira (cordialement) dans le bourg.
C'est que quelqu'un appellera son fils Marcel ou son fils Pierre.
C'est que quelqu'un aura besoin de son fils Marcel ou de son fils Pierre.
Et les appelera, heureux de les voir. Et les cherchera.
Car c'est eux qui régneront alors et qui porteront le nom.
C'est eux qui régneront sur la face de la terre.

Peut-être quelque temps encore un vieux se rappellera.
Dira.
Les deux gars Sévin c'est des braves gars.
Ça n'est pas étonnant.
Ils ont de qui tenir.
Le père était un si brave homme.
Et quelque temps les jeunes rediront de confiance :
Le vieux était un si brave homme.
Mais déjà ils n'en sauront rien.
Puis ils ne sauront plus et cela même, ce propos même se taira.
Il pense avec tendresse au temps où il ne sera plus même un propos.
C'est à cela, c'est pour cela qu'il travaille, car n'est-ce pas pour ses enfants que l'on travaille.

Il ne sera plus qu'un corps dans six pieds de terre sous six pieds de terre sous une croix.
Mais ses enfants seront.
Il salue avec tendresse le temps nouveau où il ne sera plus.
Où il ne sera pas.
Où ses enfants seront.
Le règne de ses enfants.

Charles Péguy,

Le Porche du Mystère de la deuxième vertu (1912)

Extrait

Charles Péguy,

Le Mystère des Saints-Innocents (1912)

extrait


« Paradis est plus fleuri que printemps.

Paradis est plus moissonneux qu’été.

Paradis est plus vendangeux qu’automne.

Paradis est si éternel qu’hiver.

Paradis est plus soleilleux que jour.

Paradis est plus étoilé que nuit.

Paradis est plus ferme que le ferme décembre.

Paradis est plus doux que le doux mois de mai.

Paradis est plus secret que jardin fermé.

Paradis est plus ouvert que champ de bataille.

Paradis est plus vieux que saint Jérôme.

Paradis est le céleste pourpris.

Paradis est plus capital que Rome.

Paradis est plus peuplé que Paris.

Paradis est désert plus que plaine en décembre.

Paradis est public et qui veut vient y boire.

Paradis est plus frais que l’aube fraîche.

Paradis est plus ardent que midi.

Paradis est plus calme que le soir.

Paradis est si éternel que Dieu.

Paradis est sanglant plus que champ de bataille.

Paradis est sanglant du sang de Jésus-Christ.

Paradis est royaume des royaumes.

Paradis est le dernier reposoir.

Paradis est le siège de Justice.

Paradis est le royaume de Gloire.

Paradis est plus beau qu’un jardin de pommiers.

Paradis est plus floconneux qu’hiver.

Paradis est plus sévère que mars.

Paradis est plus boutonneux qu’avril.

Paradis est plus bourgeonneux qu’avril.

Paradis est plus cotonneux qu’avril.

Paradis est plus embaumé que mai.

Paradis est plus accueillant qu’auberge.

Paradis est plus fermé que prison.

Paradis est demeure de la Vierge.

Paradis est la dernière maison.

Paradis est le Trône de Justice.

Veuille seulement Dieu que route y aboutisse.

Route que cheminons depuis dix-huit cents ans.

Paradis est auberge à la très belle enseigne.

Car c’est l’enseigne-ci : à la Croix de Jésus.

Cette enseigne éternelle est pendue à la porte.



Victor Boudon dans son livre " Mon Lieutenant Charles Péguy " chez Albin Michel, qui décrit les quelques jours qui ont précédé la guerre et la description détaillée du parcours de la 19me compagnie du 276me, de la mobilisation au 6 septembre 1914 écrit :
Au moment de la mobilisation à la gare de bel Air raccordement à Paris :  au sujet du seul officier qui prend en charge l'embarquement des troupes " Un d'entre eux (des hommes que Péguy saluait) à qui je demande qui est ce Lieutenant, paraissant si cordial dans sa sévérité, me répond "C'est le lieutenant Péguy".
...Péguy... ? Ce nom ne me dit rien et je suis loin de penser qu'il s'agit de Charles Péguy , l'écrivain et poète, fondateur et animateur des "cahiers de la quinzaine" ainsi que je l'apprendrai plus tard. trop tard....lieutenant de territoriale, maintenu sur sa demande au même régiment de réserve (le 276me RI) et à la même compagnie (la 19eme) auxquels il était affecté depuis 1905."

Le lendemain de la mort de Péguy, le reste des troupes se regroupe et là un adjudant apprit aux hommes parlant des morts de la veille, déplorant la perte de bons camarades : "Et Pierre nous apprit alors, qui était notre lieutenant, le Péguy, l' écrivain, polémiste et poète que nous avions tous ignoré : Notre "Pion".".
En effet Péguy était appelé par ses hommes "Le Pion".

Les derniers moments de Péguy :
La 19me compagnie reçoit l'ordre de prendre Monthyon à la baïonnette.
Victor Boudon écrit : " En tout, ainsi, nos adversaires groupent devant nos pauvres sept à huit mille hommes, bien résolus cependant, 16 bataillons, 4 escadrons et  douze batteries d'artillerie, soit plus de quinze mille combattants, non moins décidés que nous à l'emporter".
Les Allemands sont positionnés de St Soupplets  Neufmoutiers en passant par la butte de Monthyon et derrière le ruisseau, soit un front de 7 kilomètres.
Le 276me avance dans les champs d'avoine non fauchés, des chaumes ou des champs de betteraves qui ralentissent la progression. Pas d'abri naturel que quelques bordures de champs.
"nous avançons toujours, tandis que marchent côte à côte, légèrement en avant de nous, revolver au poing  et dirigeant la marche le capitaine Guérin et le lieutenant Péguy...."
Ils avancent difficilement sous le feu et s'arrêtent derrière un talus. Les balles sifflent et l'infanterie française répond. Les Allemands sont presque invisibles dans leur tenue couleur terre, alors que les Français en rouge et bleu constituent de belles cibles sur ces découverts.
"....Notre mouvement est parfaitement mené, mais étant nous aussi sans une ligne de feu de soutien, et sans tir de protection d'artillerie, nous sommes très certainement sacrifiés."  écrit Boudon.

Péguy dirige le tir. Il encourage les hommes.
"il est au milieu de nous, insouciant des balles qui le visent et le frôlent. , debout, courageux, courant de l'un à l'autre pour faire activer le feu..."
Le tir des français oblige l'ennemi à reculer, et il se replie sur les hauteurs, quittant les rives du ruisseau bordé d’ arbres où ils se tenaient jusqu'alors.
Voyant cela et malgré la chaleur et la fatigue arrive l'ordre "En avant !"
Les hommes courent, se couchent dans les betteraves les chaumes ou l'avoine vers les positions allemandes. L'ennemi a conservé en place ses mitrailleuses pour couvrir la retraite. Ces mitrailleuses prennent les troupes sous un feu croisé meurtrier et fauchent des rangs entiers de fantassins.
Le capitaine Guérin tombe. "Tirant son épée du fourreau et la pointant dans la direction de l'ennemi, alors Péguy crie : "le Capitaine est tombé ! ....Je prends le commandement ! ...suivez moi ! ....En avant ! .....à la baïonnette !"

"Les "mascinengewehr" allemandes nous tirent comme une envolée de moineaux. Cependant un premier bond, suivi d'un second porte notre aile droite menée par Péguy, cent cinquante mètres en avant...."
"Et maintenant aller plus loin, en unique vague d'assaut, sans une ligne de soutien en arrière nous protégeant de ses feux, sur un terrain où la pente déclinante vers le ru, et surtout la grande visibilité de nos uniformes, font de nous de superbes cibles vivantes rouges et bleues, n'ayant plus par suite de notre tir que trente à quarante cartouches par homme et dans l'impossibilité d'en être réapprovisionnés, c'est une folie, c'est courir à un massacre certain, et au surplus inutile....Nous n'a


rriverons pas dix!...."
"Mais pris dans l'ambiance forcenée du combat nous n'avons pas le temps de connaître la peur......"
"Cependant la violence du feu ennemi est telle que force est à Péguy  de commander un arrêt dans la marche. "Couchez-vous ! ... hurle-t-il, et feu à volonté..." mais lui reste debout, en avant de nous, la lorgnette à la main, dirigeant le tir, héroïque dans l'enfer."
Sur la gauche, le lieutenant de La Cornillère, tombe.
Les hommes tirent ce qu'ils peuvent tentant de se protéger.
Le feu des mitrailleuses ne s'arrête pas. Beaucoup tombent. "A tout instant ce sont des cris, des râles."......
"Cependant le lieutenant Péguy, lui,  est toujours debout, malgré nos cris de "Couchez-vous!. Glorieux fou dans sa bravoure, sourd à nos appels de prudence, agacé, énervé par cette lutte inégale dont il voit et comprend mieux que nous le danger. Devant les cris et les appels des blessés qui se font de plus en plus angoissés et pressants, il hurle avec une énergie rageuse "Tirez ! Tirez ! Nom de Dieu ! ...."
D'aucuns lui crient, et je suis de ceux là « :Nous n'avons pas de sac mon lieutenant, nous allons tous y passer".
"Ca ne fait rien crie Péguy, dans la tempête qui siffle plus fort que jamais, moi non plus je n'en ai pas ! Voyez, tirez toujours !"
"Et se portant à notre alignement, sa lorgnette à la main, explorant les lignes allemandes, il se dresse comme un défi à la mitraille, sous le feu toujours plus violent des mitrailleuses ennemies"...
"Au même instant, une balle meurtrière brise ce noble front.
Il est tombé, tout d'un bloc, sur le côté, et de ses lèvres sort une plainte sourde, comme un murmure, une dernière pensée, une ultime prière :
" Ah ! Mon Dieu ! ....Mes enfants ! ... ".
Et la lutte est terminée pour lui.".

 

Pauline Donizeau,

Charles Péguy, Marcelle Meyer

Domenico Scarlatti, un film, Jean Seban

Les mois 2013,

Août, 15'46" Aout.htmlJuillet.htmlshapeimage_2_link_0
Juillet 6'06" Juillet.htmlJuillet.htmlshapeimage_3_link_0
Septembre 4'36" shapeimage_4_link_0shapeimage_4_link_1

Décembre (6'13)

Janvier (9' 01)

Février 17'37 Fevrier.htmlFevrier.htmlshapeimage_5_link_0

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 2014 LInvention_de_lannee_2017.htmlLInvention_de_lannee_2017.htmlLundi.htmlLInvention_de_lannee_2017.htmlshapeimage_6_link_0shapeimage_6_link_1shapeimage_6_link_2

Flagrant délit de